LA CONSCRIPTION
Aujourd’hui la conscription et le service militaire qui
suivait appartiennent au passé. Nos enfants n’ont plus qu’un
court aperçu du Service National appelé « journée
d’appel de préparation à la défense ». Le rappel
historique, avec la reproduction de documents puisés dans les archives
de Forest, fera sans doute remonter quelques souvenirs aux plus anciens.
Jusque la fin du 18e siècle, la constitution de l’effectif des
armées, alors principalement de métier, était la tâche
des fameux « sergents recruteurs ». Ils placardaient sur les murs
une affiche « AVIS A LA BELLE JEUNESSE », arpentaient les villes
et les campagnes pour embaucher de futurs soldats avec de belles promesses à
l’appui s’adressant aux jeunes épris d’aventures, ou
dégoûtés de leur état de paysan exploité,
mais aussi à ceux soucieux d’échapper à la potence
(ce qui, du reste, ne les empêchait pas ensuite de perpétrer leurs
actes en toute impunité).
En cas d’insuffisance de recrutement, l’armée complétait
ses besoins par le tirage au sort parmi les célibataires de 18 à
40 ans.
C’est en 1798, que la loi JOURDAN instaura le service militaire pour tous
les français « d’âge militaire », c’est
à dire 20 ans révolus. Ils devaient être inscrits ensemble
sur une même liste ou « conscrits », c’est ainsi que
le mot « conscription » fit son apparition. Ils y restaient inscrits
jusqu’à l’âge de 25 ans ; en cas de nécessité
l’appel se faisait en commençant par les plus jeunes.
En 1818, les besoins des armées en hommes étant moins importants,
la Loi GOUVION ST CYR réintroduit le tirage au sort, pratique honnie
sous l’ancien régime, qui bien que mieux organisée créait
des inégalités flagrantes plus difficilement acceptées
après la révolution, le service militaire étant alors un
devoir républicain découlant des principes d’égalité
et de fraternité.
Pour ceux qui tiraient le mauvais numéro, l’épreuve suivante
était le « conseil de révision », qui les déclarait
définitivement « aptes » ou non pour le service militaire.
Il faut souligner qu’à cette époque « aptitudes militaires
et sexuelles » allaient de pair et la crainte de voir leur virilité
mise en cause, effaçait souvent celle de quitter leur foyer pour 7 à
8 ans, durée du service militaire.
Si le « conscrit » avait des parents fortunés, il lui restait
la possibilité d’acheter un remplaçant, soit plus chanceux
au tirage au sort, ou un conscrit d’une classe précédente
qui « rempilait ». Le rachat s’accompagnait de la rédaction
d’un véritable contrat avec paiement d’une somme d’argent
évidemment importante.
Lors du Conseil de révision, le Maire complétait
la liste des Conscrits par les causes d’exemption, lesquelles étaient
examinées par le Sous Préfet qui rendait sa décision par
la suite. Ci-dessus la liste de réforme se rapportant à la classe
1838 (les noms de famille ont été effacés).
Il faudra attendre 1872 (réforme THIERS) pour que l’Assemblée
Nationale pose le principe de l’universalité du Service Militaire,
avec une durée de 5 ans lors de sa mise en application.
Mais la Nation se retrouva bientôt avec un effectif pléthorique
de militaires « appelés », et on y dérogea à
nouveau en multipliant les dispenses, recourant une fois de plus au tirage au
sort : « les bons numéros » temps ramené à
1 an, et les « mauvais » une durée normale de 5 ans .
Ce n’est qu’en 1905, que la France met en place ce que nous avons
connu jusqu’à ces dernières années, c’est à
dire l’obligation du service armé pour tous en adaptant la durée
en fonction des besoins. C’est ainsi que de deux ans à l’origine,
celle-ci fut successivement réduite à 18 mois, puis plus récemment
à 1 an avant de disparaître, sauf bien entendu durant les conflits
impliquant la France.
L’aptitude au Service Militaire résultait d’une cérémonie
« collective » très particulière appelée «
Conseil de Révision ». C’était l’affaire d’une
commission présidée par le Sous-Préfet. Elle comprenait,
outre le médecin major, les maires des communes – des hommes exclusivement
à cette époque, un officier du bureau de recrutement et deux gendarmes
pour aller quérir les « récalcitrants » éventuels.
Le matin, les jeunes de la classe se réunissaient et allaient chercher
le drapeau à la mairie. Puis ils se mettaient en route à pied,
en chantant pour se donner de l’entrain, afin de se rendre à Landrecies,
chef-lieu du canton, où se réunissait le Conseil de Révision.
Le déroulement de ce dernier était non seulement empreint de solennité,
en raison de la présence des personnalités ci-dessus, mais aussi
redouté par les jeunes gens.
Tout d’abord, ils entraient tous en même temps dans la grande salle
de la mairie où ils se déshabillaient intégralement devant
tous, et attendaient leur tour, non sans gêne pour la plupart.
L’appréhension était grande car les « réformés
» étaient nombreux. Appelés à tour de rôle
en fonction de leur date de naissance, il était alors procédé
à la pesée, puis ils passaient sous la toise. On mesurait leur
périmètre thoracique et le médecin major procédait
à des examens plus attentifs. Avec ces différentes mesures, assez
sommaires il faut bien le dire, il était calculé un indice de
« robusticité », lequel était déterminant pour
décider de l’aptitude du candidat.
Tout au long du 19ème siècle, les exemptés et réformés
étaient nombreux. Environ un quart des jeunes gens appelés au
conseil de révision l’étaient pour des problèmes
physiques graves (taille inférieure à 1,45 mètre, rachitisme,
phtisie, vue, etc.). Par la suite, avec les progrès de la médecine
et de la prévention, la situation s’est sensiblement améliorée.
Ainsi pour la commune de FOREST vers 1850, une statistique établie à partir du registre des conscrits sur une décennie révèle la situation ci-dessous :
Nombre total de
conscrits |
Exemptés |
Réformés |
Bons pour le service
armé |
147 |
16 |
54 |
77 |
11 % |
37 % |
52 % |
Les motifs d’exemption avaient souvent un caractère
social, par exemple : un fils unique de veuve, un aîné de veuve,
un aîné d’une famille d’orphelins, un conscrit ayant
un frère mort pour la France etc…
Les causes de réforme apparaissent fort diverses, toutefois 40 % l’ont
été pour « mauvaise constitution », 10 % pour la taille,
10 % pour mauvaise vue ou surdité, le reste soit 40 % pour des raisons
diverses telles que varices, goitre, pieds plats, bégaiement, etc.
Une fois accompli, cet examen à la fois contraignant et humiliant pour
certains, la conscription était l’occasion de faire une fête
mémorable durant 2 ou 3 jours, sans compter la popularité auprès
des filles. Au retour, ils se rendaient dans les fermes. Parfois ils étaient
accompagnés d’un musicien : un accordéoniste le plus souvent.
« L’artiste » était payé par une quête
le premier jour, puis les jours suivant en fonction de sa bonne volonté
par des repas et des boissons. La qualité musicale en souffrait inévitablement,
mais qu’importe, le principal était d’avoir un accompagnement.
Certains pères faisaient le déplacement à Landrecies pour
être plus vite au courant du verdict ; ils n’avaient pas besoin
de questionner leur gars : leur tête en disait suffisamment long.
Les exemptés « réformés » étaient penauds,
et leurs parents vexés, y compris leur entourage. Les voisins disaient
parfois qu’ils devaient avoir une infirmité cachée…
Des promesses de mariage furent parfois annulées.
La conscription, dont le « Conseil de Révision » était
l’événement majeur, a été longtemps considérée,
sauf au cours des 2 ou 3 dernières décennies, comme un «
rite » concrétisant l’admission des jeunes gens dans le monde
des adultes.
Les conscrits de Forest vers 1960
Georges BROXER