LES ACTIVITES DES VILLAGEOIS DEPUIS LA CREATION DE FOREST EN CAMBRESIS
La plupart des historiens relatent avec force détails, l’origine des territoires, les faits d’armes des différents seigneurs qui les ont successivement possédés, indiquent la superficie des divers fiefs, décrivent les châteaux et fortifications, mais demeurent fort discrets sur l’activité des habitants au fil des siècles. Cependant une lecture attentive de leurs écrits permet de dégager des informations qui ont fourni la matière au présent article.
L’Agriculture
C’est en 1181 que les premières maisons et l’église
de Forest furent bâties, à la suite rappelons le de la convention
signée l’année précédente entre l’Abbaye
de St Denis (près de Paris) et le Comte de Hainaut autorisant la fondation
du village.
Une épaisse forêt couvrait alors une grande partie de son vaste
territoire, qui progressivement défriché laissait la place aux
travaux des champs. La richesse du sol et l’activité naturelle
développée par les premiers habitants de Forest ont été
à l’origine de l’accroissement assez rapide de sa population
qui comptait 80 ans après sa création déjà 700 âmes.
A la même époque, les surfaces défrichées et transformées
en terres labourables et prairies représentaient 80 % de la superficie
totale soit environ 700 ha. La culture devint alors, et cela pour plusieurs
siècles, l’activité largement prédominante des villageois.
Cependant jusqu’au début du 16° siècle, le voisinage
des bois de Bousies et du Fayt offrait aux habitants de Forest des travaux de
bûcheronnage surtout pendant la saison d’hiver.
Cette population, essentiellement vouée aux travaux agricoles, cultivait
les céréales, le houblon, l’œillette, le colza, le
trèfle et plus tard la luzerne. Le houblon, comme dans toute la région,
a été la culture prédominante de Forest. En 1605, on comptait
34 houblonnières, en 1788 on en dénombrait 44, en raison du meilleur
profit en regard des frais de culture. Les productions étaient écoulées
par l’intermédiaire de courtiers qui visitaient les fermes et aussi
les foires et marchés des villes voisines. Par la suite, les prairies
occupèrent une place croissante et le beurre devint la denrée
au premier rang de l’économie locale.
Pour être complet dans ce domaine, rappelons que Forest possédait,
sur son territoire, un vivier de vastes dimensions (environ 2 ha) qui portait
le nom de « Roe » ; il appartenait aux moines de l’Abbaye
de Maroilles. Situé à proximité de la rue du Cateau en
allant vers cette ville, il fut asséché probablement dans le courant
du 16e siècle.
Le Moulin
Très tôt, le recours à l’utilisation
d’un moulin s’est avéré indispensable dans un village
où la culture céréalière était développée.
Longtemps Forest s’est vu contraint de recourir au moulin de Wasviler
(1) assez éloigné du village. Heureusement vers 1520, le Comte
de Hainaut édifia à peu de distance du centre de la population,
un moulin à vent sur le chemin qui mène à Landrecies, qui
devint moulin banal (2). Son existence fût souvent menacée, puisque
toutes les fois que les armées ennemies pillèrent et saccagèrent
le village, leur premier soin fut de mettre le feu au moulin. Sa reconstruction
n’intervenait malheureusement parfois qu’après quelques années.
Au fil des siècles, plusieurs tentatives d’en construire un second
se heurtèrent au refus du Parlement de Lille. L’abolition de la
« banalité » (2), intervenue le 4 août 1789 en même
temps que les autres droits seigneuriaux, a permis l’installation d’un
second moulin à vent, édifié à l’entrée
du chemin d’Ovillers, puis d’un moulin à eau à Richemont.
Complément du moulin pour les villageois, le four banal, fut construit
quant à lui dès l’origine de Forest par le Comte de Hainaut,
il se situait sur la place, dans l’angle formé par la ruelle Ethuin
et la rue d’Amerval. Pour l’utiliser, les habitants payaient une
redevance déterminée au fournier.
Le Commerce
Excepté ce qui concernait l’écoulement
des productions locales, céréales, houblon, animaux domestiques,
beurre et, bien entendu, l’installation des Lombards, le commerce n’a
pas tenu une grande place à Forest ; en tout cas, il n’a pas laissé
de trace.
Cependant, situé sur une voie de circulation importante, dont l’origine
remonte aux Romains, très empruntée au cours des siècles,
le village a possédé très tôt deux auberges qui devinrent
des relais de poste. L’une à l’angle de la Chaussée
et de la Place « l’Hôtel de la Clef », qui s’appelait
à l’origine « l’Hôtel du Chien » dont on
relève l’existence en 1459. L’autre plus importante, sans
doute aussi ancienne, située à l’angle de la Chaussée
et de la rue du Moulin, portait le nom « d’Hôtel des Coquelets
» puis «d’ Hôtel de la Couronne » probablement
parce qu’il avait le plus souvent l’honneur de recevoir les souverains
et grands personnages de passage.
L’Artisanat et l’Industrie
L’extraction du grès est la seule activité
étrangère à l’agriculture dont on relève la
trace dans les différents écrits aux 14e et 15e siècles.
Florissante durant de très nombreuses années, elle se faisait
sur le territoire de Forest entre la route d’Ovillers à Caluyau
et le chemin de Vendegies au bois, ainsi qu’à proximité
du bois l’Evêque.
Au 17e et 18e siècles, l’industrie textile avait pris une importance
relativement considérable. Le lin n’y était guère
cultivé, mais il était amené brut, pour y être peigné
et filé avant d’être livré aux marchands liniers de
Cambrai et Valenciennes, par des mulquiniers, nom qui désignait aussi
bien les ouvriers qui le façonnaient que les commissionnaires qui le
faisaient façonner pour le compte de marchands de gros et de fabricants
de toile.
Vers la même époque, Forest comptait aussi beaucoup de tisserands
au point qu’avec les transformations annexes (apprêt, filage) cette
activité occupait beaucoup de monde. Il n’était pas rare
de trouver dans les maisons et les caves, trois ou quatre métiers qui
battaient à la fois. Ainsi par exemple, en 1766, à partir des
actes de baptême, sur 30 mères de famille, 26 se déclaraient
fileuses. Ces activités étaient précieuses car elles occupaient
les enfants, même très jeunes, et assuraient une certaine aisance
aux familles nombreuses. Hélas, elles disparurent avec l’arrivée
dans la seconde partie du 19e siècle des filatures et tissages mécaniques
au Cateau et à Bousies.
Cette prospérité fut probablement à l’origine du
fort accroissement de la population constaté à Forest qui, entre
1802 et 1870, est passée de 857 à 1792 habitants, chiffre qui
constitue son apogée.
Par la suite, en raison de la concentration des activités textiles dans
de grands ateliers, les villageois, qui n’étaient pas occupés
par les activités agricoles, allèrent travailler dans les industries
installées dans les villes avoisinantes et peu à peu au fil des
générations s’y établirent, phénomène
de migration qui s’est poursuivi au 20e siècle puisqu’au
dernier recensement Forest ne compte plus que 520 habitants.
La présence insolite des Lombards
à Forest
durant plus d’un siècle (1313 à 1433).
Dans quelles circonstances se sont-ils installés ? Que faisaient-ils précisément ? Pourquoi sont-ils restés si longtemps ? C’est à ces interrogations que les lignes qui suivent s’efforcent de répondre.
Les terres de Forest étaient, depuis la fondation du
village en 1181, la propriété des comtes de Hainaut. Au début
du 14e siècle, ils avaient, comme du reste l’ensemble des seigneurs,
beaucoup de difficultés à couvrir leurs dépenses occasionnées
par les guerres, les tournois et les fêtes, au moyen de leurs revenus
ordinaires constitués par les rentes, les produits de leurs domaines
et les impôts de toutes sortes dont les habitants leur étaient
redevables.
Or à cette époque, emprunter n’était pas simple.
L’Eglise, toute puissante, condamnait le prêt à intérêt
et y restera fort longtemps obstinément hostile. En effet pour les théologiens
« prêter avec intérêt » était un vol puisque
l’argent produisait des richesses non par le travail, mais par l’effet
du temps. Face à cette situation à qui empruntait-t-on ? Tout
d’abord aux juifs, mais aussi aux « Lombards » (3), et aux
« Cahorsins » (4). Ces personnages devaient leur situation particulière,
soit à leur religion, soit à leur nationalité ou à
leur origine.
C’est ainsi que « nécessité faisant loi », le
7 octobre 1313, Guillaume, comte de Hainaut, a accordé à une poignée
de Lombards, marchands et citoyens d’Asti, le droit de demeurer à
Forest pour une durée de 15 ans, et de pouvoir vendre, acheter, changer,
marchander, prêter leur argent, de toutes les manières qu’ils
trouveront le plus convenable. En outre, il les prenait sous sa sauvegarde,
protection et défense, leur assurant de surcroît l’exclusivité
de leur activité et les affranchissant de toutes tailles, corvées,
etc…
Ces avantages exorbitants montrent l’étendue des obligations contractées
par les Lombards dont ils s’acquittaient au travers d’une redevance
de 200 livres tournoi (5) par an, somme considérable à l’époque,
et au moyen de prêts de fortes sommes d’argent parfois assortis
de garanties telles des hypothèques sur leurs biens (acte de 1323 notamment).
L’histoire ne dit pas quel était le taux d’intérêt
qui leur était demandé, toutefois il est intéressant de
savoir que les prêts consentis à d’autres emprunteurs étaient
de l’ordre de 40 % parfois davantage.
Il est évident qu’exerçant une activité condamnée
par l’Eglise, de surcroît peu populaire, car les poursuites de mauvais
payeurs leur étaient grandement facilitées par le comte de HAINAUT
qui s’engageait à mettre en mouvement les hommes de loi et les
hommes d’armes à ses frais, leur accordant de plus le privilège
d’être crus sur parole, les Lombards étaient craints, mais
aussi haïs. Après cela, il ne leur était pas indifférent
d’obtenir en outre la protection des seigneurs lorsqu’ils quittaient
le pays au moyen d’un sauf conduit (6) jusqu’à la sortie
du territoire. Du reste, nombre d’entre eux se sont ainsi vus dépossédés
de la fortune qu’ils avaient amassée.
L’histoire n’a conservé la trace que de leurs excès,
les qualifiant de rapines. Du reste beaucoup de localités (ce n’est
pas le cas à Forest) ont conservé le souvenir de leur séjour
par le nom donné à leurs rues, Cambrai, Solesmes, Le Quesnoy.
Cependant, ces aventuriers de la finance, précurseurs des banquiers,
si l’on peut sans exagération les qualifier d’usuriers (7),
avaient néanmoins leur place dans l’économie locale. En
fait, tous recouraient à l’emprunt, qui était déjà
à cette époque un besoin ordinaire. Les plus pauvres n’avaient
alors aucun moyen de faire face à l’imprévu : aux fléaux
naturels, à la maladie, au chômage, au salaire qui tarde ou se
dévalue. Que faire, sinon emprunter à n’importe quel taux
? Que dire des artisans qui devaient payer leurs fournitures et des paysans
dans l’attente de leurs récoltes. Ainsi à Forest et dans
les villages dont l’activité était quasi exclusivement agricole,
les Lombards pratiquaient le prêt sur gage constitué de céréales,
en usant de règles particulièrement rigoureuses puisque lorsqu’ils
avaient gardé celui-ci pendant un an et un jour, ils pouvaient le vendre
en toute légalité. Du reste par la suite, conséquence probable
du succès de ces opérations, ils achetèrent « argent
comptant » de grandes quantités de céréales livrables
à long terme par les censiers (8) et les laboureurs, qui alors contraints
d’attendre, restaient encombrés de leurs récoltes et parfois
dans une situation difficile. Pour combattre ces excès, une charte de
1413 limitait à 80 muids (9), moitié blé, moitié
avoine, la quantité qu’il était permis aux Lombards d’acheter
chaque année sous peine de confiscation.
Il faut croire que les besoins des comtes de Hainaut successifs étaient
permanents puisque l’on retrouve encore les Lombards dans des chartes
de 1433.
Ensuite leur trace se perd, sans doute parce qu’après une période
marquée par une bonne conjoncture économique : augmentation de
la population, développement du commerce sous toutes ses formes, bonne
monnaie propice à leur activité, les décades qui ont suivi
ont connu des calamités qui rendirent complètement insolvable
la population, et amenèrent ces usuriers à abandonner les campagnes
qui ne leur offraient plus ni profit, ni sécurité.
D’après l’Histoire
de Forest écrite en 1905 par l’Abbé S. POULET, curé
de la Paroisse
et divers articles tirés de la revue « L’Histoire ».
Georges BROXER
(1) Wasviler était un petit
village situé au N-E du Cateau, entre le Pommereuil, Forest et Montay.
Il appartenait à l’Abbaye St André du Cateau, on trouve
sa trace dès l’an 852, il a aujourd’hui disparu.
(2) La « banalité » était une redevance payée
par les utilisateurs du moulin ou du four, qui était pour l’essentiel
reversée au propriétaire, elle faisait partie des privilèges
seigneuriaux.
(3) Lombards : marchands d’origine piémontaise notamment d’Asti
(Italie).
(4) Cahorsins : marchands de Cahors, et plus généralement du Quercy.
Leur nom désignera jusque la fin du moyen âge , tout usurier qui
n’est ni juif ni italien.
(5) Livre tournoi : à l’époque où les souverains
battaient monnaie, la livre tournoi était la monnaie du Hainaut.
(6) Sauf conduit : permis en vertu duquel on peut aller en un lieu et en revenir
sans être inquiété par les agents de l’autorité
l’ayant délivré.
(7) Usure : situation dans laquelle un emprunteur verse à un prêteur
des intérêts supérieurs à ce qui est autorisé
par la loi. A cette époque, en raison de l’interdiction, ce terme
était appliqué à tous les types d’intérêts
quels qu’il soient.
(8) Censiers : pris dans le sens de propriétaire.
(9) Le muid : ancienne mesure de capacité dont la valeur variait suivant
les régions et la nature du contenu (blé, avoine, vin, etc…).